Organisations de producteurs
Message de Laure Dubreuil
Le 11 juillet 2025
Chère Vigneronne, Cher Vigneron,
Depuis quelques mois, de plus en plus de voix dans la filière viticole s’élèvent, notamment auprès des pouvoirs publics, pour encourager la création d’Organisations de Producteurs (OP).
Présentées comme des leviers de structuration et de valorisation collective, ces structures soulèvent cependant de nombreuses questions, en particulier dans notre secteur où l’identité, la diversité des modèles économiques et la relation directe au marché sont fondamentales.
En tant que représentante des Vignerons Indépendants, il m’a semblé essentiel de vous apporter un éclairage sur les limites de ce dispositif, afin que vous puissiez, en toute connaissance de cause, faire preuve de vigilance et exiger les garanties nécessaires pour préserver l’autonomie et la pérennité de vos entreprises.
1. Un dispositif pensé pour des filières agricoles standardisées
Les Organisations de Producteurs (OP) sont historiquement conçues pour des produits agricoles de grande consommation, standardisables (lait, fruits et légumes, viande), où le regroupement de l’offre permet :
- une meilleure négociation des prix auprès de l’aval (GMS, industriels),
- la mutualisation des outils logistiques,
- l’accès à certaines aides européennes.
Le vin ne relève pas de cette logique. Il s’agit d’un produit culturel, identitaire et différenciant, dont la valeur repose largement sur :
- la singularité du vigneron,
- le terroir, l’Appellation, l’identité
- et une segmentation très fine du marché.
2. Un risque de doublon avec le modèle coopératif… déjà fragilisé
La filière viticole dispose déjà d’un modèle collectif : les caves coopératives, qui remplissent une partie des missions des OP.
Or, ce modèle est en crise structurelle :
- difficultés financières croissantes,
- pertes de parts de marché,
- manque d’agilité et lourdeur administrative,
- difficulté à valoriser correctement les apports des coopérateurs.
Reproduire un modèle similaire sous un autre nom (OP viticole), sans résoudre les causes profondes des blocages, expose à un nouvel échec collectif.
3. Un marché en mutation : vers moins de volumes et plus de différenciation
La demande de vin, notamment en grande distribution, est en forte baisse :
- -16 % en volume entre 2019 et 2023 en GMS,
- réduction des linéaires vin dans les grandes surfaces,
- baisse de la consommation chez les jeunes générations.
Dans ce contexte, il devient difficile de valoriser un vin « générique » produit collectivement.
Ce sont les démarches singulières, les circuits courts, l’œnotourisme ou les stratégies export bien ciblées qui tirent leur épingle du jeu.
C’est pourquoi il est essentiel de rester maître de ses choix commerciaux et de ne pas se lier à une structure qui pourrait, à terme, restreindre cette souplesse.
Toute initiative collective doit prendre en compte la diversité des débouchés actuels et futurs de chacun.
4. Quels gains réels pour les producteurs ?
La création d’une OP exige une structuration coûteuse :
• équipe salariée,
• démarches administratives,
• frais de fonctionnement,
• mise en conformité avec les exigences communautaires,
• mise en place de systèmes d'information et de suivi.
Ces charges seront financées in fine par les vignerons, via des cotisations ou un pourcentage sur leur chiffre d'affaires.
À l'inverse, l'investissement individuel dans une stratégie commerciale ciblée (vente directe, digital, export, œnotourisme, partenariats locaux) offre un contrôle bien plus grand, et souvent un retour sur investissement plus rapide et mesurable.
5. Transfert de propriété : un risque important pour nos modèles d’entreprises
Dans le cadre des OP, les raisins ou vins sont transférés de plein droit à l’organisation dès leur adhésion, ce qui implique :
• Perte de contrôle sur la propriété : les volumes apportés deviennent juridiquement la propriété de l’OP, limitant la faculté du producteur à en disposer librement.
• Dépendance accrue : la décision de libérer les stocks ou de choisir les débouchés appartient à l’OP, pas à l’exploitant.
• Risques en cas de défaillance de l’OP : liquidation ou redressement judiciaire peut entraîner une remise en cause des apports et des droits financiers.
• Impact sur le patrimoine familial : les actifs viticoles entrant dans le patrimoine de l’OP peuvent compliquer les successions et la transmission.
Ce transfert de propriété, s’il n’est pas assorti de garanties solides (clauses de réversion, valorisation contractuelle, protection des apports), constitue un facteur de fragilité majeur pour les exploitations.
6. Une logique d’aides européennes qui met en péril l'équilibre du secteur
Aujourd’hui, une part croissante des aides publiques est orientée vers les OP au nom de la "structuration des filières".
Cela crée un effet pervers : les vignerons qui choisissent de rester indépendants se voient peu à peu exclus des dispositifs de soutien, alors qu'ils sont pourtant les plus dynamiques sur les plans de l'export, de l'innovation produit, de la valeur ajoutée territoriale et de l'emploi local.
Ce mécanisme de concentration des aides risque à terme d'étouffer la viticulture locale, diversifiée et enracinée, au profit de structures lourdes, peu adaptées à la réactivité qu'exige le marché du vin aujourd'hui.
7. Pour un collectif utile : des principes de vigilance à poser
Si certains projets OP devaient voir le jour dans la filière viticole, nous appelons à une extrême vigilance sur les points suivants :
- Clarté du périmètre : que mutualise-t-on ? Que laisse-t-on à l’initiative individuelle ?
- Gouvernance démocratique et transparente.
- Répartition équitable des charges et bénéfices.
- Évaluation chiffrée des retombées économiques pour chaque adhérent.
- Respect de la liberté entrepreneuriale de chaque vigneron sans obligation de transfert de propriété.
8. Une autre voie est possible : accompagner l’autonomie commerciale
Au lieu de créer une dépendance nouvelle à un outil collectif lourd, nous préconisons un accompagnement renforcé des vignerons sur :
• la stratégie de marque et de positionnement,
• la conquête de nouveaux circuits et renforcer les relations avec de vrais partenaires commerciaux
• l’accès à des outils mutualisés (logistique, conseil, digital),
• la formation à la vente et à la communication.
C’est cette approche que nous défendons au sein du syndicat des Vignerons Indépendants, fidèle à notre philosophie : un vigneron libre, autonome, responsable de ses choix techniques, commerciaux et humains.
En conclusion, les Organisations de Producteurs peuvent être utiles dans certains contextes agricoles.
Mais le vin n’est pas une commodité, et son économie ne se résume pas à une logique de volume et de prix moyens.
Nous vous invitons à faire preuve de lucidité, de pragmatisme et d’exigence avant de s’engager dans ce type de structuration.
Car ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement une nouvelle organisation, c’est l’avenir de nos modèles agricoles indépendants et singuliers.
Restant à votre écoute,
Laure Dubreuil
Présidente des Vignerons Indépendants du Centre Val de Loire
le 11.07.25 à 07:59
-
Notez bien !
Les informations présentées dans ce blog sont destinées
aux Vignerons Indépendants adhérents, présents sur le territoire de la fédération du Centre Val de Loire.

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